TAIN



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



TAIN



TAIN (Tegna). - Entre Valence et Saint-Vallier, à 18 kilomètres de la première et 14 de la seconde de ces villes, Tain est placé sur la rive gauche du Rhône, vis-à-vis de Tournon, dont il n'est séparé que par le fleuve. C'est là que se voit le premier pont en fil de fer construit en France.
La route de Lyon à Marseille qui traverse cette petite ville, et les eaux du Rhône qui en baignent les murs, en rendent la situation très agréable. Sa population est de 2,340 individus. C'est un chef-lieu de canton ; il y a un bureau de poste, un bureau d'enregistrement, un relais pour la poste aux chevaux et une brigade de gendarmerie à cheval. Il s'y tient une foire le 15 novembre. Le territoire produit des grains, du vin, des fourrages, des noix et de la soie ; mais la principale de ses productions est le vin : il y est d'une qualité supérieure et forme la richesse du pays, où ce commerce, fait avec beaucoup de soin et de loyauté, a pris un grand accroissement. C'est la montagne qu'on voit au nord et à peu de distance de la ville qui donne l'excellent vin de l'Hermitage ; elle fournit aussi le granit gris le plus beau et le plus dur qui existe en France. Le nom qu'elle porte vient d'un hermitage fondé en 1226, qui a duré jusqu'en 1790.
On trouva dans le XVIme siècle, au sommet même de la montagne, un autel antique. Il fut placé, comme simple bloc, à la porte de l'hermitage, et en 1724, des voyageurs anglais, qui allèrent visiter l'hermite, et à qui l'intérêt que présente ce monument n'échappa point, le lui achetèrent. Ils s'étaient déjà mis en devoir de le faire conduire jusqu'au Rhône pour le transporter en Angleterre, lorsque M. Deloche, lieutenant du maire, accourut avec quelques officiers de ville, et le retira des mains de ces étrangers. C'est le monument qu'on voit au milieu de la petite place ou promenade qui longe la route. Il est carré et d'une-seule pierre calcaire ; il a environ 4 pieds de hauteur, y compris la base et la corniche, et 2 pieds seulement hors d'oeuvre. Sa largeur, prise à la corniche et à la base, est de 2 pieds 3 à 4 pouces ; son épaisseur est à peu près égale à sa largeur. Du milieu de la plate-forme partent deux canaux qui en embrassent une partie considérable, en décrivant, l'un et l'autre, une espèce de ligne circulaire. Distans d'abord de près de 18 pouces, ils s'éloignent encore un peu, se rapprochent ensuite, et finissent presque par se réunir sur le devant de l'autel, où ils sont ouverts et arrondis. A leur naissance, ils effleurent légèrement la surface : leur largeur et leur profondeur vont toujours en augmentant ; leurs ouvertures sont larges de 9 pouces et profondes de 3. Dans le milieu de la face principale est une tête de taureau ; sur la face droite est sculptée une tête de bélier, et sur la face gauche le couteau victimaire. Voici ce qui reste de l'inscription placée sur la face principale, et partagée en deux par la tête du taureau :
.... I DOMVVSQ DIVI NAE COLON COPIAE CLAVD AVG LVG ... AVROBOLIVM FECIT Q AQVIVS ANTONIA NVS PONTIF PERPETVVS
(Ici la tête du taureau.)
EX VATICINATIONE PVSONI IVLIANI ARCHI GALLI INCHOATVM XII KAL MAI CONSVM MATVM VIIII KAL MAI L EGGIO MARVLLO CN PAPIRIO AELIANO COS PRAEEVNTE AELIO C .... SACERDOTE TIBICINE ALBIO VERINO
C'est l'autel d'un sacrifice offert à Cybèle, en l'année 184, pour la conservation de l'empereur Commode et de sa famille, et pour la prospérité de la colonie de Lyon. Il commença le 20 avril et ne se termina que le 23 ; il donna lieu à de grandes solennités et attira un nombreux concours. Ce qui ajoute singulièrement à l'intérêt qu'offre ce taurobole, c'est que le nom et les titres de Commode ont été effacés de l'inscription, sans doute lorsqu'à la mort de cet empereur un décret du sénat prescrivit de faire disparaître des monumens publics tout ce qui pouvait rappeler le souvenir de cet autre Néron.
L'abbé Chalieu a longuement et savamment disserté sur ce taurobole, peutêtre unique dans son genre, et voici l'inscription telle qu'il l'a rétablie :
Matri Deum, magnae Ideae, pro salute imperatoris Caesaris Marci Aurelii Lucii Commodi Antonini pii, domuusque divinoe, colonioe Copioe Claudioe Augustoe Lugdunensis, taurobolium fecit Quintus Aquius Antonianus,

pontifex perpetuus, ex vaticinatione Pusonii Juliani, Archigalli, inchoatum XII kalendarum maii, consummatum VIIII kalendarum maii, Lucio Eggio Marullo Cneio Papirio Aeliano consulibus, proeeunte Aelio, Cneio Panirio, sacerdore, tibicine Albio Verino.
A la mère des Dieux la grande déesse du mont Ida, pour la conservation de Marcus Aurelius Lucius Commodus Antoninus, empereur, césar, auguste, pieux, pour celle de sa maison divine, et pour celle de la colonie Copia Claudia Augusta de Lyon, Quintus Aquius Antonianus, pontife perpétuel, a fait un taurobole, d'après la prédiction de Pusonius Julianus, Archigalle il a été commencé le 12 des calendes de mai et achevé le 9 des mêmes calendes, sous le consulat de Lucius Eggius Marullus et de Cneius Papirius Aelianus, Aelius étant le derdrophore, Cneius Panirius le sacrificateur, Albinus Verinus le joueur de flûte.
On voit encore à Tain, dans le jardin de M. Jourdan aîné, une colonne milliaire trouvée en l'an V (1796), à 3 milles au-dessous de cette ville, dans le territoire de Mercurol. Elle a 6 pieds 10 pouces environ de hauteur et un pied de diamètre ; elle est ronde et de gypse grossièrement taillé. L'inscription qu'elle porte est également fort curieuse. Elle a treize lignes, mais ces lignes n'ont, comme on va le voir, que deux mots chacune, quelquesunes même n'en ont qu'un. Les lettres sont grandes de 2 à 3 pouces, mais inégales ; la distance des lignes l'est aussi. L'inscription se présentait tout entière du côté du chemin, et les voyageurs pouvaient la lire sans se déplacer.
IMP CAES LVC ¨ DOM AVRELIANO P ¨ FEL ¨ INV AVG PONT ¨ MAX GERM ¨ MAX GVTICO MAX CAR ¨ MAX PRO ¨ V ¨ INP III COS P. P. XXXVIIII
MM. Chalieu et Millin l'ont ainsi expliquée :
Imperatori Caesari Lucio Domitio Aureliano, pio, felici, invicto, augusto, pontifici maximo, Germanico maximo, Gutico maximo, Carpico maximo, Provincia Viennensis imperatori III, consuli, patri patrioe.
XXXVIIII.
A l'empereur César Lucius Domitius Aurélien, pieux, heureux, invincible, auguste, souverain pontife, Germanique, très grand, trois fois vainqueur, consul, père de la patrie,
La Province Viennoise.
Elle remonte à l'année 273, et le nombre XXXVIIII qu'elle marque indiquait la distance de Vienne à cette pierre.
La plaine comprise entre Tain et l'Isère, est célèbre par la victoire que le consul Q. Fabius y remporta sur les Allobroges réunis aux peuples de l'Auvergne, 121 ans avant J. C.
On voit à l'Hermitage, outre plusieurs tombeaux antiques, les ruines d'un temple, que dominait une tour dont les fondations sont aujourd'hui cachées sous l'herbe. L'abbé Chalieu a cru retrouver dans le premier de ces monumens un des deux temples que Fabius fit élever près du champ de bataille, et dans la tour celle qu'il fit construire pour imposer aux vaincus. Il eût été difficile, en effet, de choisir une position qui convînt mieux pour l'objet que se proposait le vainqueur ; elle offrait trois points de vue admirables : à l'est, on découvrait une grande partie du pays des Allobroges, l'Isère, et dans le lointain les Alpes ; au sud, l'oeil pouvait suivre long temps le cours du Rhône, tandis qu'à l'ouest la vue dominait les montagnes du Vivarais, du Velay et de l'Auvergne.
L'origine de Tain est, du reste, entièrement ignorée. Cette ville est indiquée dans la Table Théodosienne sous le nom de Tegna, entre Valence et Vienne ; c'est celui sous lequel elle est aussi marquée dans la grande carte de Sanson, et mentionnée par d'Anville dans sa Notice de la Gaule ancienne.
Les bénédictins de Cluny y avaient un petit prieuré, et c'est dans leur église, devenue celle de la paroisse, que l'archevêque de Lyon bénit, en 1350, le mariage de Charles, fils de Jean, duc de Normandie, petit-fils de Philippe de Valois, avec Jeanne de Bourbon. Ce prince, qui, dans la suite, monta sur le trône sous le nom de Charles V, est le premier des enfans de France qui ait porté le nom de dauphin.
C'est la patrie de Charles-Fleury Ternal, jesuite, né en 1692, mort en 1750, auteur de la Vie de Saint Barnard, archevêque de Vienne, Paris, 1722, in-12, et de l'Histoire du cardinal de Tournon, ministre de France sous quatre de nos rois, Paris 1728, in-8°.
Alexis Chalieu, dont j'ai souvent cité les Mémoires, est né aussi à Tain le 29 avril 1733 ; il y est mort le 29 mars 1808.
C'est encore la patrie de Jacques Bret, savant professeur de mathématiques, auteur de plusieurs ouvrages sur les sciences exactes. Né en 1782, il est mort à Grenoble vers l'année 1812.
Et de M. Jean-Paul-Ange-Henri Monier de la Sizeranne, né le 31 janvier 1797, auteur de l'Amitié des deux âges, comédie en 3 actes et en vers, et de Corinne, drame en 3 actes et en vers, représentés l'un et l'autre au théâtre français en 1826 et 1830. Il est également auteur de quelques écrits sur l'économie politique.

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